L’Imam Abou Ya’qoub Youssouf Al Bouwaytî (mort en 231H)

Il s’agit de l’imam, le savantissime, maître des jurisconsultes (fouqaha), le grand Shâfi’ite, montagne de science, Abou Ya’qoub Youssouf ibn Yahya Al-Qourashî Al-Bouwaytî, le plus proche des disciples de l’imam As-Shâfi’i, le plus prolifique, le plus proche de son cœur, le plus instruit parmi eux, et son successeur dans son cercle après sa mort.

Sa date de naissance n’est pas connue avec certitude, mais il est originaire d’Aroumah Qourashiyah, tandis que sa lignée remonte au village de Bouwayt en Haute-Égypte, où sa famille s’est installée depuis les premiers jours de la conquête islamique du pays.

Son parcours scientifique :

Il a commencé à étudier la science dans son village natal de Bouwayt, puis il est parti avec son père à Al-Foustât, où il a étudié auprès de ‘AbdAllah ibn Wahb (125 – 197H), élève des deux Soufiane, At-Thawrî (97 – 161H) et Ibn ‘Oyeynah (107 – 198H), ainsi que de l’Imam Mâlik (93 – 179H)). ‘AbdAllah ibn Wahb qui était le shaykh des Malikites en Égypte, avec qui Al-Bouwaytî acquit beaucoup de science.

Lorsque As-Shâfi’i est arrivé en Égypte en 198H pour y diffuser sa science, Al-Bouwaytî s’est joint à lui et a été émerveillé par sa science. Il a donc fréquenté son cercle et ne l’a jamais quitté jusqu’à parfaire sa formation scientifique avec lui.

Allah dota l’imâm Al Bouwaytî d’une grande capacité de compréhension de la religion et d’une grande intelligence, il devient ainsi le plus grand des compagnons d’As-Shâfi’î, celui qui avait la meilleure et la compréhension la plus précise de son madhhab et de ses positions, au point où, après la mort d’As-Shâfi’î en 204H, Al-Bouwaytî prit sa place, donna les avis juridiques (fatâwâ), débattait, écrivait, et tout cela alors qu’il était encore jeune.

Ce que ses contemporains disaient de lui :

– L’imam Al-Bouwaytî était l’un des Imams les plus savants, de ceux qui étaient pris comme guides dans la science et les actes. Il était donc un modèle dans la science et la pratique, un ascète éducateur, assidu dans l’évocation d’Allah et dans son adoration.

Voyons quels sont les éloges de son shaykh et imam, As-Shâfi’i, à son égard, pour comprendre le rang de cet imam. En effet, As-Shafi’i a dit de lui :

« Aucun de mes compagnons n’est plus savant qu’Al-Bouwaytî ».

Lorsque les questions scientifiques parvenaient à As-Shâfi’i, il les renvoyait souvent à Al-Bouwaytî pour qu’il y réponde. Il répondit d’ailleurs une fois, à quelqu’un qui le lui reprochait :

« Al-Bouwaytî est la langue avec laquelle je parle »,

au point où il l’envoyait avec les gardes et les policiers pour réprimer et blâmer les désobéissants et les pervers.

Lorsque As-Shâfi’i était sur le point de mourir, on lui annonça que les gens se disputaient concernant la succession de son cercle, qui était le plus grand cercle de science de son époque, les trois prétendants étant Al-Bouwaytî, Al-Mouzanî et Mouhammed Ibn ‘Abd Al Hakam. Alors on lui demanda qui devait hériter de son cercle et de ses assises, il répondit à l’un de ses élèves qui n’est autre que l’Imam Al Hâfizh Al Houmeydî :

« Personne n’est plus digne de prendre ma place que Youssouf », c’est-à-dire Al-Bouwaytî.

– Son contemporain et frère dans la science parmi les compagnons du cercle d’As-Shâfi’i, l’imam Ar-Rabî’i Ibn Souleymân (174 – 270H), a dit de lui :

« Al-Bouwaytî ne cessait de remuer la langue dans l’évocation d’Allah et je n’ai jamais vu personne aussi attaché à l’argumentation par le Livre d’Allah qu’Al-Bouwaytî. Il observait régulièrement le jeûne et terminait plusieurs fois la lecture du Coran chaque semaine. Il faisait partie des gens la masse, et restait auprès d’eux pour répondre à leurs besoins et pour faire le bien avec eux. »

– L’imam Ad-Dhahabî a déclaré à son sujet :

« Il était un Imam dans la science, un modèle dans la pratique, un ascète, assidu dans l’évocation (dhikr) et dans la compréhension de la religion. »

Son voisin Ibn Abi Al-Jâroud a dit de lui :

« Al-Bouwaytî était mon voisin et je n’ai jamais été éveillé la nuit sans l’entendre réciter le Coran et prier. »

– Ibn Khallkân a écrit à son sujet :

« Al-Bouwaytî était le compagnon d’As-Shâfi’î et le ciment de son groupe, et celui qui excellait le plus parmi eux. Il était pieux, dévot, adorateur et ascète. »

Après la mort de l’Imam As-Shâfi’î -qu’Allah lui fasse miséricorde- Al-Bouwaytî prit donc sa place, enseigna, éduqua et orienta les gens dans leur religion. Il était suivi, aimé et respecté d’eux, au point ou le nombre de Shâfi’ites atteignit des dizaines de milliers d’adeptes.

La fitna de la création du Coran :

– À cette période, l’innovation de mécréance de la création du Coran commençait à apparaître progressivement via les prêcheurs Mou’tazilites, jusqu’à ce qu’ils soient capables de manipuler l’esprit du calife abbasside Al-Ma*moun et de le convaincre d’adopter cette innovation hideuse. Ils ont ensuite éprouvé la population et contraint les savants à la suivre, comme cela s’est produit avec l’épreuve de l’imam Ahmad ibn Hanbal -qu’Allah lui fasse miséricorde-.

Lorsque Al-Wâthiq Ibn Al-Mou’tasim est devenu calife en 227H, il était l’un des plus fervents défenseurs de cette innovation. Le responsable de toute cette fitna, le Qâdî Ahmad ibn Abi Dou*ad, qui était donc juge, avait complètement pris possession de son esprit et son cœur, au point où Al-Wathiq ne prenait aucune décision sans consulter ce damné égaré d’Ibn Abi Dou*ad.

Ahmad ibn Abi Dou*ad profita de l’obéissance aveugle d’Al-Wâthiq et conçut un plan de grande envergure pour répandre cette innovation maléfique dans tous les pays islamiques, qu’il commença à mettre en œuvre. Il réussit à convaincre Al-Wâthiq de renvoyer tous les juges, imams et gouverneurs qui n’adhéraient pas à cette innovation, et de les remplacer par des juges, des imams et des gouverneurs Mu’tazilites qui croyaient en la création du Coran. Il donna l’ordre aux professeurs des enfants dans les écoles de leur enseigner la doctrine de l’I’tizâl (Mou’tazilisme), et l’affaire atteignit son apogée lorsque les captifs musulmans furent éprouvés auprès des Byzantins qui les faisaient prisonniers : Celui qui disait que le Coran est créé, était racheté, c’est à dire qu’Al-Wâthiq payait les rançons, mais celui qui refusait, était laissé captif chez les mécréants. De manière générale, la plupart des pays musulmans étaient englouties par cette innovation maléfique, et toutes les provinces du Califat étaient touchées.

– Dans cette atmosphère suffocante, chargée d’innovations et d’égarements, des informateurs et des esprits malades, tels que les jaloux et les rancuniers, s’activèrent. Certains en ont profité pour régler des comptes et éliminer certaines personnes compétentes. Le Qâdî Ahmad ibn Abi Dou*ad harcelait les imams, les savants et les shouyoukh, et fournissait de nombreux efforts pour les faire taire de toutes les manières possibles, que ce soit en les cajolant ou en les menaçant, chacun selon son endurance et sa patience.

Certains des jaloux ont profité de cette situation, comme Abou Bakr Al-Asamm, le juge d’Egypte, qui était mu’tazilite, et un autre homme, malheureusement, AbdAllah, fils de Imam As-Shâfi’i lui-même, qui avait emprunté une voix complètement différente de celle de son père. Les deux hommes écrivirent donc au chef d’orchestre de cette épreuve, Ahmad ibn Abi Dou*ad, au sujet d’Al-Bouwaytî, de sa croyance qui était celle des gens du hadith et des pieux prédécesseurs, et de son opposition à cette mécréance, et ont manifesté la gravité de la dangerosité d’Al-Bouwaytî pour leur innovation et ses adeptes.

– Ibn Abi Dou*ad écrivit donc au gouverneur d’Égypte, lui ordonnant d’éprouver l’imam Al-Bouwaytî. Le gouverneur avait une bonne opinion de lui et l’aimait pour sa science et sa piété. Il lui dit donc:

« Que ceci reste entre toi et moi », et lui demanda simplement de faire semblant d’être d’accord, juste pour se préserver de l’oppression du tyran Ibn Abi Dou*ad. Cependant l’imam Al-Bouwaytî -qu’Allah lui fasse miséricorde- donna une leçon impressionnante de sa compréhension de la place de l’Imam et du rôle qu’il joue dans l’orientation de la communauté en temps de crise, refusa de se compromettre, et agit avec fermeté, tout comme son frère, l’imam Ahmad ibn Hanbal. Il dit au gouverneur qui le protégeait :

« Je suis suivi par cent mille personnes, ils ne sauront pas que je fais semblant d’être d’accord. Si je réponds favorablement à cela, ils répondront également. »

Lorsque Ibn Abi Dou*ad a appris cela, il ordonna son arrestation. Ils l’emmenèrent, enchaîné dans du fer lourd, d’Al Foustât, vers Bagdad, en 230 de l’Hégire.

– Nous pouvons imaginer l’ampleur de la souffrance et de l’épreuve à laquelle Al-Bouwaytî a été soumis tout au long de son voyage d’Al Foustât à Bagdad, enchaîné avec par du fer pesant quarante livres, comme l’a rapporté son camarade et compagnon Ar-Rabî’ ibn Souleymân (174 – 270H), une scène qui restera gravée comme une exhortation dans la patience des Imams et des pieux durant les épreuves. Ar-Rabî’ déclara donc :

« J’ai vu l’imam Al-Bouwaytî sur un âne, avec un carcan autour du cou, des menottes aux pieds et une chaîne pesant quarante livres entre lui et l’âne, dire :

« Allah a certes créé toute chose [en disant] » Koun » (Sois), donc si la parole « Koun » était créée, cela signifierait qu’une créature en aurait créé une [autre]. Et j’entrais auprès de lui, (c’est à dire, auprès du calife Al-Wâthiq), je lui dirais la vérité et je n’aurais pas peur de lui. Je mourrai dans ces chaînes jusqu’à ce des gens viennent [plus tard], et sachent que certains sont morts dans leurs chaines [pour cette cause]. » »

Son emprisonnement et la fin de sa mort :

– Al-Bouwaytî fut donc enchaîné et menotté lors de son voyage d’Al Foustât à Bagdad (environ 1700km). Tout au long de ce voyage difficile et éprouvant, il ordonnait le bien, interdisait le mal et blâmait les innovations, ce qui exaspérait le tyran Ibn Abi Dou*ad. Lorsque l’Imam est arrivé à Bagdad, Ibn Abi Dou*ad ordonna de le jeter dans les ténèbres de la prisons et de le torturer. Il ne fut pas soumis aux mêmes interrogatoires que les autres savants et ne fut pas présenté au calife, comme cela était la coutume pour les grands savants, de peur qu’il ne convainque le calife de la vérité et ne le détourne de l’innovation.

L’imam Al-Bouwaytî demeura plusieurs mois dans les ténèbres de la prison, où il fut un modèle pour n’importe quel savant éducateur. Il suivit l’exemple du Prophète Yousouf -que la paix soit sur lui- , enseignant la religion aux prisonniers, tout en débattant et en réfutant les innovateurs.

Chaque vendredi, il se lavait et demandait à sortir de sa cellule pour la prière du joumou’ah, mais le gardien le lui refusait en lui disant qu’il n’était pas responsable de cela. Toutes les tentatives d’Ibn Abi Dou*ad pour briser la résistance et la patience d’Al-Bouwaytî échouèrent. Il lui envoya certains mou’tazilites pour le convaincre, sans succès. Il demeura une montagne inébranlable et une grande source d’inspiration face à l’adversité.

Finalement, le tyran ordonna de resserrer les chaînes autour de lui, et il fut enroulé de haut en bas avec du fer. La situation est devenue tellement difficile pour Al-Bouwaytî, qui ne pouvait plus se purifier, se laver ou prier facilement. Ceci eu un fort impact sur l’Imam Al-Bouwaytî, et ses ennemis savaient comment le faire plier, en l’atteignant dans ce qu’il possédait de plus cher, son obéissance et son adoration d’Allah عز وجل.

Dans une lettre adressée à l’imam Ad-Dhouhlî (172 – 258H), l’un des grands Imams du hadith du Khourasân, Al-Bouwaytî décrivit son état et demanda à ses frères d’invoquer Allah de le soulager de ses souffrances, car il était désormais incapable de se purifier et de prier comme il se doit, espérant qu’Allah le libérera de sa détresse grâce à leurs invocations.

Lorsque, durant son assise, l’Imam Ad-Dhouhlî lut la lettre à ses élèves dans le hadith, il se mit à pleurer ainsi que toute l’assemblée, et ils élevèrent tous leurs voix dans leurs invocations.

Allah répondit rapidement à leurs invocations, et libéra l’Imam Al-Bouwaytî de ce bas-monde éphémère et de l’oppression de ses ennemis qu’il a vaincus. Ils n’obtinrent rien de lui, ni soumission, ni capitulation. Il est aimé et respecté par tous les gens de la Sounnah qui ont connu son histoire, ils invoquent pour lui la miséricorde et la récompense de Celui dont la générosité est sans limite.

Ô Allah ! Fais miséricorde à ton serviteur l’Imam Youssouf Al-Bouwaytî, et récompense-le pour nous de la meilleure récompense, accorde lui les plus hauts degrés du paradis, réunis nous avec lui dans les jardins du firdaws, parmi ceux qui auront la récompense et le privilège de contempler Ta Noble Face.

Sources : Voir [Siyar A’lâm An-Noubalâ 12/58], [Târîkh Baghdâd 14/299], [Wafiyât Al A’yân 7/61], [Al Bidâyah Wa An-Nihâyah 10/333], [Al Kâmil fî At-Târîkh 6/89], [Al ‘Ibar 1/411], [Tabaqât As-Shâfi’iyyah 2/162], [An-Noujoum Az-Zâhirah 2/260], [Shadharât Ad-Dhahab 2/71], [Al Mountazhim 11/174].

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Biographie résumée de l’Imam Abou Ya’qoub Youssouf Al Bouwaytî (mort en 231H)